29 janvier 2018

Les paysages et les hommes








Dans une bribe je parlais du lent travail de l’homme qui a façonné le paysage du Vietnam. Plus notre voyage se poursuit dans les montagnes à priori hostiles du Nord Vietnam, plus cette conviction prend forme. De la forêt qui occupait la majeure partie du terrain, ne reste que des franges sur les flancs trop escarpés, des sommets retranchés, des à-pics inexploitables, car l’homme laborieusement, opiniâtrement, laboure, terrasse, cultive, de plus en plus haut, de plus en plus pentu.
Les larges terrasses bien dessinées des rizières des plaines, se rétrécissent, suivent les courbes de niveaux des flancs auxquelles elles s’accrochent, elles se superposent presque tellement le dénivelé entre deux augmente.
Les canalets qui les alimentent et leur permet de se déverser l’une dans l’autre, de les mettre en eau, de les assécher se font tuyau en cascade. Mais toujours l’homme est là, courbé sur la terre, qui laboure avec son fidèle assistant le buffle, capable d’exploits dont est incapable le moindre tracteur. 
Plus haut les théiers s’alignent sur des terrasses qui deviennent de simples marches, taillées à plat, et encore plus haut, ou un peu ailleurs, là où le terrain convient mieux, la culture des ananas remporte la palme ! Le travail devient escalade, on coupe, on remonte les fruits dans de grandes hottes d’osier, péniblement. Les cultures grimpent, grimpent, elles grignotent les forêts, s’approchent du ciel. Partout, sur chaque parcelle possible, sur chaque espace disponible, on laboure, en louvoyant entre les rochers, on plante, on sème, on cultive des légumes, des fruits, du maïs, du riz. Déjà, nombre de collines sont terrassées entièrement et, plus haut, on commence à employer des moyens mécaniques pour entailler les montagnes, repousser toujours un peu plus la limite du sauvage, du naturel. Mais cette nature résiste, heureusement, et l’homme lui concède une place, car il en a encore besoin. Il a besoin d’arbres pour faire de l’ombre, pour embellir, pour protéger, il a besoin de bois, pour cuisiner, pour fabriquer pour bâtir ses maisons traditionnelles.


Mais le bois de construction se fait plus rare, plus cher, trop cher. Alors les maisons qui se construisent perdent beaucoup en charme, elles se bétonnent comme partout, deviennent de vulgaires cubes de moellons, mal finis, mal commencés. Désormais elles sont un vestige du passé, les belles maisons des Thaïes, de bois sur pilotis et celles des Tays, leurs cousins en prononciation, de bois et couvertes de palmes sèches. Le paysage va y perdre en harmonie, ce qu’il va conserver en nature.


Ces paysages, nous les aimons, nous les trouvons beaux parce qu’ils sont aussi humains. Entre paysage et jardin, entre travail et nature, ils se dessinent, s’estompent dans les brumes matinales, s’illuminent au couchant avec toujours des reflets d’eau, sur le calme des rizières et des bassins à poissons, sur le vif des torrents et des rivières. Ce sont des paysages doux, nés de notre imagination avec, parfois des singularités qui enchantent, comme ces montagnes en pain de sucre, chevelues, qui semblent naître d’un caprice des rizières, par lots de deux ou trois, et abritent dans leurs creux des villages de bois qui s’y nichent dans une végétation exubérante. Et partout, l’homme est au travail. Hommes et femmes attelés à toutes les tâches que réclame la terre, labourant, sarclant, piochant, repiquant, coupant, ramassant, transportant à dos, puis à moto.

C’est la différence avec les paysages grandioses d’autres voyages que nous avons faits, des paysages sculptés dans le minéral, forgés par de grands séismes, ou de lents bouleversements géologiques. Le Sud Lipez en Bolivie, ou le Yellowstone, aux USA ne perdent rien de leur beauté, bien sûr, mais ce sont des paysages qui nous transportent ailleurs, dans un autre monde, où l’homme n’a guère sa place alors qu’ici il en fait partie, c’est une des composantes majeures de ce pays, qui sans lui, sans ses efforts laborieux, ne serait pas ce qu’il est.




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