Valparaiso cité déchue…
Nous y sommes arrivés un vendredi
soir… Beaucoup de commerces étaient déjà fermés pour le
week-end, devantures baissées et les rues n’étaient que de mornes alignements
de tôles inévitablement recouvertes de toutes sortes de graffitis, reflétant
des talents divers. Dans les rues jonchées d’ordures et de déchets divers,
erraient des groupes à la recherche d’on ne sait quoi…
La nuit tombait, nous cherchions
en vain de quoi nous nourrir, cette première vision de la ville était
inquiétante, une atmosphère glauque un peu comme dans les films
post-apocalyptiques. Le retour à l’hôtel et notre première nuit n’ont pas
contribué à modifier ce point de vue. A l’hôtel se côtoient des clients
d’origines diverses mais dont la moyenne d’âge est d’une indécente jeunesse.
Nous y sommes, comment dire… un peu en décalage ! Un groupe de jeunes
américains mène grand tapage autour de bouteilles de vin chilien, et tous
sortent participer à une sorte de concert d’impros dans la rue devant l’hôtel et
sur la placette qui fait face à l’entrée. Un jumbee scande interminablement la
nuit, un saxo tente parfois de l’accompagner, une guitare, un harmonica, des
voix s’y mêlent. Au fil des heures, elles s’éraillent, s’alcoolisent. Au petit
matin la scansion folle s’arrête enfin, les jeunes rentrent bruyamment, ils
sont seuls avec eux-mêmes, dehors ne subsistent que quelques voix inarticulées
tentant vainement de dominer celles du concert des chiens errants qui vient de
prendre la relève. Quand nous sortons un peu plus tard, la place, la rue, le
quartier sont couverts de bouteilles vides, de verre brisé, de canettes,
contenant en tous genres, sacs plastiques, papiers gras. Les chiens par
dizaines fouillent prudemment ces restes humains et parfois lèvent la tête et
se mettent à aboyer…
Les jours suivants, nous
explorons la ville, partons à l’assaut des multiples collines, montons
d’innombrables escaliers, découvrons des « paséos » charmants, aux
maisons multicolores. Notre impression première se modère. Valparaiso est une
vieille dame, malmenée par la vie, elle s’est flétrie, abimée et elle tente, en
repeignant ses murs aux couleurs du street’ art de se redonner une nouvelle
jeunesse. Mais ses maisons se ruinent, leurs façades décorées cachent des
intérieurs délabrés squattés par d’innombrables mendiants, ou bien accrochées
aux collines, leurs tôles battent au vent du large, comme des bateaux d’antan
en partance pour un ultime voyage. Par îlots subsistent quelques maisons bien
retapées, des bâtiments historiques à l’architecture austère, que l’on montre
aux touristes, ceux qui viennent avec des guides dans des minibus aux vitres
teintées. Pour les autres, pour nous, on le sait bien le fard, même outrancier,
ne répare pas les outrages du temps.
Mais il nous reste, et ce n’est
pas rien, cette incroyable exposition vivante, colorée qui a envahi une ville
morte, il reste ces cohortes de jeunesse bigarrée, venue de toute part, pour se
repaître d’une nostalgie étrange ; entre beat génération de Kerouac, et monde
hippie de 68, il flotte ici comme des remugles du flower power. J’ai vu un slogan, taggé sur un
escalier : « we are not hippies, we are happies »… Je me
suis demandé ce qui était le plus vrai, de la négation ou de l’affirmation, et
pourquoi il fallait le dire si fort, comme pour s’en convaincre soi-même. Les
deux ne sont d’ailleurs pas antagonistes, j’ai même, il y a longtemps, connu
des hippies heureux !
Je finis d’écrire cette bribe,
sur la table commune de l’hôtel, coincé entre deux danoises qui apprennent
l’espagnol sur des petites fiches, quelques américains et allemands rivés à
leurs tablettes et leurs smartphone, les français sont en vadrouille.
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