De forêt et d’eau
J’aime ces lieux étranges qui
hésitent entre deux réalités, ces mondes qui entremêlent les éléments, qui ne
décident pas vraiment ce qu’ils sont. La Carélie est de ceux là, une terre de
forêt et d’eau, de vert et de bleu en été, de vert et de blanc, l’hiver. La
terre joue avec le lac un jeu de
séduction et de pouvoir égrenant ses îles et ses îlots, courbes et
labyrinthes ; l’eau s’y insinue, s’y love, vient caresser la forêt que se
mire en d’infinis reflets. La parade amoureuse ne s’éternise pas. Le froid jette
sur l’un et l’autre sa cape de glace et soude pour un temps d’hiver le couple d’amants
mutins.
L’homme a investi ces terres
hostiles et attirantes à la fois. Elles étaient belles et prodigues, quand le
soleil ne s’y couche que pour se reposer un instant de sa folle course,
ingrates et dures quand il disparaît dans d’autres mondes, ne laissant
qu’entrevoir sa lueur comme un espoir dans la nuit. Les hommes ont dansé avec
l’eau et la forêt, une danse de conquête et de survie, des vies de peine et de
labeur. Pour vaincre la peur, ils ont bâti des églises de bois, hautes et
belles, pour se tenir droits, ils se sont accotés à un dieu, mais au fond du cœur ils savent
que leurs vrais maîtres sont le ciel, l’eau et la forêt. Dans les jours sombres
et froids, au rythme lent des prières, se balancent, les fichus des femmes devant l’iconostase,
et les crêtes des grands pins sous les
rafales de vent du nord. Dans les jours sombres et froids, quand l’isba
s’emmitoufle et que fume le poêle, quand rôde le loup et les vieilles légendes,
les sifflets chasseurs de mauvais esprits reprennent vie auprès de l’icône
révérée.
Dans ces lieux étranges où
s’interpénètrent les réalités, l’homme vit sa force et sa faiblesse, il s’aide
de toutes ses croyances pour écarter la peur du loup qui rôde toujours.
Terre de forêt et d’eau, la
Carélie l’est encore et toujours, mais l’homme s’est trouvé d’autres refuges
que les belles églises en bois souvent désertées. Comme partout, on le voit
souvent prosterné, scrutant désespérément un écran tout puissant, omnipotent,
omniscient.
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